11 Feb 2019
CIEL Textile

Ayaz Tajoo, Co-General Manager, Aquarelle Maurice & Madagascar : "Il ne faudrait pas tourner le dos à l'industrie du textile..."

Interview dans le journal Le Dimanche/L'Hebdo - 10-16 février 2019 - Kamlesh Bhuckory

L’industrie mauricienne du textile repose sur la main d’œuvre étrangère. Vous, qui avez démarré et gravi les échelons dans ce secteur, à quel point cette situation vous attriste ? Pourquoi ?

Le textile a connu une importante transformation et le talent des travailleurs étrangers aussi bien que celui des Mauriciens est essentiel pour faire tourner cette industrie. Le textile recommence à attirer les mauriciens et offre des possibilités de carrière aussi bien dans le design, le marketing, la formation, la gestion que dans le développement durable. Toutefois, Il est urgent de voir le textile dans une approche holistique. C’est une industrie qui évolue et les métiers qui sont en demande évoluent également. Il y a 20 ans quand je faisais mes débuts dans l’industrie nous avions la priorité de construire cette image de qualité pour Maurice, aujourd’hui nous y sommes parvenus et avons d’autres objectifs, notamment une chaîne de production plus soucieuse de l’environnement. De plus, nous ne sommes plus uniquement des exécutants mais de vrais partenaires avec des solutions clé en main pour nos clients -de la conception du vêtement à la livraison. D’ailleurs, nous ne parlons plus aujourd’hui d’une industrie manufacturière mais bien d’une industrie de la mode. Un secteur en constante évolution qui nous demande au quotidien de faire preuve de créativité et de dépassement de soi. Nous continuerons à croire dans ce métier et moi d’encourager les jeunes à en faire partie. J’en ai d’ailleurs vu beaucoup grimper les échelons très vite tout comme moi. Des opérateurs qui sont aujourd’hui des Factory Managers. Le textile est une industrie d’opportunité et qui permet à tous de grandir et il ne faudrait pas lui tourner le dos.

Qu’est-ce qui explique le déclin du textile local au cours des deux dernières décennies ? Absence d’une réelle volonté étatique ? Circonstances du marché mondial ? Concurrence ?

Je pense qu’il s’agit de tous ces facteurs réunis. Toutefois, CIEL Textile continue à croire dans le potentiel de ce secteur. Certes Maurice est devenu une destination que l’on juge sophistiquée, donc avec des coûts de productions plus élevés que nos compétiteurs sur le marché asiatique par exemple. Forcément cela impacte notre compétitivité. Ce qui nous démarque toutefois, c’est notre stratégie d’être sur un marché niche plutôt haut de gamme, et des clients avec qui nous partageons une vision commune pour le futur du textile.

En ce qui concerne la volonté étatique, les récentes mesures de Air Freight Schemevont dans le bon sens et doivent perdurer. 

La délocalisation est de nouveau dans l’actualité. Vous qui êtes basée à Madagascar, en quoi cet environnement est plus favorable que Maurice ?

Être basée à Madagascar nous permet de rester compétitif car le coût de production y est certes moins conséquent et il existe un certain nombre d’exonérations fiscales intéressantes pour l’exportation. La disponibilité de la main-d’œuvre malgache est également un atout important ; ce sont des opérateurs compétents avec une passion certaine pour ce métier. A Maurice, nous comptons beaucoup sur les équipes créatives et il s’agit d’un travail d’équipe ou l’on rassemble les forces des uns et des autres. Il ne faudrait pas oublier les équipes d’Aquarelle Inde qui participent activement à nos activités également. 

Avec le passage de pouvoir démocratique, sans tensions, est-ce que la Grande Ile offre beaucoup d’opportunités pour les investissements mauriciens ? 

Nous venons en effet d’assister à une transition démocratique dans la Grande Ile qui s’est déroulée de manière pacifique. C’est une excellente nouvelle d’autant plus que le Gouvernement actuellement au pouvoir a démontré de bonnes intensions pour améliorer le climat des affaires. Dans le secteur du textile par exemple, on verra la création d’une Textile Cityd’une superficie de 100 à 600 hectares avec l’implantation de plus de 100 usines et des facilités administratives. 

Venons-en à votre cheminement. Vous avez 21 ans. Comment se passe votre recrutement ? 

Après l’obtention de moncertificat de la HSC, mon cousin Jamil, qui venait de regagner le pays après un se séjour en Chine, et moi-même passions notre temps à jouer au tennis de table toute la journée. Quelques temps après, il fut recruté par Aquarelle et m’encouragea à en faire de même, après une semaine au sein de l’entreprise, d’autant plus qu’un poste venait de se libérer. Je ne pensais pas à cette époque que je rencontrerai une personne qui m’aurait inspiré autant. Il s’agissait de Clyde Chu Pin Single Planning Manager qui a su voir le potentiel en moi. Après l’entretien, je reçus un appel à mon arrivée à la maison me demandant de rejoindre Aquarelle lundi matin. J’ai commencé avec un salaire mensuel de Rs 2500 et travaillais à cette époque de 7h30 à 21h ou quelquefois jusqu’à 23h et les samedis aussi…C’était normal pour moi, j’aimais mon travail et je peux vous dire que je me suis beaucoup amusé avec la formidable équipe d’Aquarelle Rose-Hill.

Vous avez gravi les échelons pour occuper le poste de Co-General Manager ? Comment s’est passée cette ascension ?

Il n’y a pas de secrets. J’ai travaillé dur. J’ai également été chanceux de rencontrer des personnes qui ont cru en moi comme Clyde Chu Pin Sing, Jean-Yves Koenig, Harry Krishna Arnachellum, Patrick Cugnet, Harold Mayer, Eric Dorchies et tant d’autres qui m’ont guidé durant ma carrière. Il est important pour moi de faire mention de tous mes collègues. Ensemble nous avons et continuons à mettre en œuvre de belles choses. Nous sommes une vraie « winning family ». 

Si vous aviez 21 ans aujourd’hui, est-ce que vous vous engageriez dans l’industrie ? Pourquoi ?

Oui. Pour les mêmes raisons qu’il y a 21 ans, c’est-à-dire des opportunités de faire ses preuves au sein de CIEL Textile quel que soit votre poste ou votre genre. La possibilité de faire partie de cette transformation qui s’opère dans le textile actuellement et qui demande de repenser notre métier avec la digitalisation, l’automatisation et bien entendu le développement durable. Le textile reste un métier de passion et c’est cette passion qui m’anime depuis plus de 20 ans. J’espère inspirer mes fils pour que aussi puissent faire leur grande entrée dans l’industrie.  

Des anecdotes ayant jalonné votre carrière à Maurice et/ou ailleurs ?

Je me souviendrai toujours des paroles de notre CEO, Harold Mayer alors que je n’avais que 21 ans, “We will start operations in Madagascar and your job will be to ensure that the factory runs effectively non-stop. At times, you might have to find creative ways to get the job done!” il n’y a pas un seul jour où nous n’avons pas mis cela en pratique. 

Je me souviens également de la crise à Madagascar en 2002. L’équipe a fait des miracles pour que TOUS les produits soient expédiés alors que le pays était dans le chaos total. Il faut vraiment une équipe solide pour réussir à faire cela.

Plus récemment, soit en 2012, la séance de coaching avec mon équipe d’Aquarelle Surinam s’est avérée être un moment exceptionnel et marquant. Nous avons pu influencer positivement la vie personnelle des collaborateurs, certains ont même pleuré car ils ne s’étaient jamais sentis aussi valorisés. Ils avaient besoin qu’on les écoute et qu’on puisse les guider.